Les Liaisons dangereuses, de Laclos (2)

Publié le par Mylène F.


Les Liaisons dangereuses est un roman sulfureux : cet article est donc interdit au moins de 18 ans.

 

     Résumé de l’intrigue. – La marquise de Merteuil est une veuve et une libertine, non une catin, mais elle est une libertine qui s’avance masquée, lorsque le vicomte de Valmont, l'un de ses anciens amants, est, lui, craint comme le loup blanc et qu'on jase sur la dissolution de ses moeurs. La marquise est en colère: un autre de ses amants, qui l'avait trahi, projette un mariage avec une oie blanche (d’ailleurs loup blanc et oie blanche feront bon ménage, même si le premier ne fera qu'une bouchée de la seconde), une oie blanche, donc, du nom de Cécile de Volanges, qui sort à peine du couvent, et se prend d'amour, sans le comprendre, pour son professeur de musique, un jeune empoté du nom de Danceny, très beau mais manchot (il ne joue de la harpe que d’un bras). Les lettres pleines de naïveté et de niaiserie de Cécile contrastent avec celles, intelligentes et rouées, des deux libertins. La marquise de Merteuil demande au vicomte de Valmont de séduire la jeune Volanges et d'en faire une vraie catin afin de déshonorer le brave homme qui doit l'épouser. Mais la marquise est elle-même tentée par cette entreprise: "Cependant, si j'avais moins de moeurs..." commence-t-elle (Lettre XX). Elle jettera ses moeurs au panier pour initier en effet Cécile aux choses de l'amour (un peu comme l’on jette un brouillon à la corbeille), exactement comme le fera Mme de Saint-Ange pour la jeune Eugénie de La Philosophie dans le boudoir, du marquis de Sade (de là à déduire que les marquis et les marquises sont des dévergondés, il n'y a qu'un pas: on renverra à l'expression "petit marquis" qui va dans le même sens).

     Le vicomte, lui, tient à séduire la Présidente de Tourvel (son titre lui vient de son poste à la tête de la préfecture de Tournai) ; la marquise se moque de son entreprise, car la Présidente est une femme frigide ; elle le met au défi d'y parvenir, et s'il fournit la preuve de sa réussite, s'offre en échange, pour un brûlant retour de flammes, pour voir rejaillir le feu de l'ancien volcan que l’on croyait trop vieux.

     Comme nous sommes dans de la fiction, tout ce petit monde part à la campagne, déguisé en bergers et bergères (il faut voir là l’influence d’Honoré d’Urfé et de sa gigantesque Astrée ); on sait que la tradition bucolique invite à l’amour, et la Présidente de Tourvel va tomber dans les rets de Valmont, qui chante à la mandoline sous ses fenêtres, dilapide sa fortune en œuvres de charité, et lui fait franchir les torrents dans ses bras musclés. Mais Valmont, dans une grotte sombre, sous une pluie battante, séduit d'abord la petite Volanges, qui ne sait pas ce qui lui arrive (il fait noir). L’apprentissage est souvent chose pénible, et c’est ainsi que le vit Cécile, mais la répétition étant à la base de toute pédagogie, le vicomte revient à la charge toutes les nuits –et bientôt Cécile devient une vraie maîtresse à son tour dans l’art de l’amour.

     La marquise n’est pas en reste : elle a séduit le petit Danceny, et si Valmont batifole avec Cécile dans les grottes (lieu baroque et précieux par excellence), Merteuil choisit elle un souterrain (d’où le terme : sanctuaire de l’amour). Merteuil et Valmont sont en effet des personnages chtoniens, liés à la terre, et ils représentent le mal, comme le dragon (de l’Apocalypse) dans sa grotte (nous parlions de roman sulfureux : n’oublions pas que Satan, qui sent le soufre, est représenté par le Dragon).

     Mais poursuivons. Mme de Tourvel cède à son tour à Valmont dans un tumulus (décidément, qu’est-ce qu’on couche, dans ce roman ! J’espère que ce n’est pas au programme du lycée !) ; et, tandis que la marquise le raille, il commence à tomber amoureux de cette femme frigide (puisque, on le comprend à demi-mot, c’est un défi sexuel bien plus intéressant que la petite Volanges, que la fréquentation du couvent (voir Diderot, op. cit., La Religieuse assassine) et de la marquise de Merteuil avait déjà pervertie). Mais voilà que le vicomte prétend obtenir sa récompense ! Il veut, dit-il, retrouver la marquise dans un bunker, afin d’y allier le plaisir de la guerre à celui de l’amour (d’ailleurs la métaphore de la guerre court tout le roman : les libertins se parent comme des combattants – voir la brillante adaptation de Stephen Frears). La marquise se moque bien de ses désirs tant qu’il en ressent pour Mme de Tourvel : elle lui adresse, afin de rompre avec cette femme, la fameuse lettre du prêt-à-rompre, qui consiste à répéter, plusieurs fois « ce n’est pas ma faute » (entendons, si je te quitte, si tu m’ennuies, si tu n’aimes pas le sol de terre battue, si tu es frigide). Le vicomte n’en est pas à sa première cruauté envers la pauvre Mme de Tourvel : il lui avait écrit une lettre sur le dos d’une prostituée, dans un caveau du cimetière Montparnasse, alliant ainsi la transgression morale et la transgression religieuse. Il accepte donc de rompre avec celle que, pourtant, il aime, et, ni une ni deux, envoie la lettre cruelle. Mme de Tourvel, la recevant, sombre dans le désespoir, et se brûle la cervelle, son sang se répandant sur la terre tant aimée où elle céda à Valmont pour la première fois. Le vicomte exige son dû : le bunker, ou la guerre ! Et la marquise répond en quatre mots restés célèbres : « Hé bien ! la guerre. » Il faut dire qu’elle ne supporte plus l’humidité des souterrains.

     Et effectivement, c’est la guerre : Cécile, déshonorée, enceinte des œuvres du vicomte, fait une fausse couche et est enfermée au couvent (notons ici l’opposition entre l’espace divin du couvent, qui renvoie au Ciel, et la grotte où elle retrouvait le vicomte, qui renvoie aux enfers). Cécile se fait oublier à la fin du roman, car elle sombre dans le coma ; mais un auteur du XXI° siècle ressuscitera le personnage (incarné par Uma Thurman dans le film de Frears) dans une touchante figure de femme qui croit avoir perdu son enfant, et s’en venge cruellement bien des années après (Tuer William, T. Quentin). Danceny, troublé par le destin de Cécile, et qui sait d’où vient pareil coup (car le vicomte en est un bon), provoque son rival en duel, et le tue. Valmont cependant lui révèle avant d’expirer que la marquise est à l’origine de cet effroyable stratagème, et lui fait mettre la main (puisqu’il n’en a qu’une) sur les lettres qui prouvent son infamie. Danceny photocopie tout cela, et le distribue en gazettes dans le monde : cette déchéance de la marquise coïncide avec une maladie qu’elle a contractée dans l’humidité des souterrains, maladie qui la défigure tout à fait et la rend boiteuse. Elle perd sa beauté et sa réputation, et, seule face à son miroir, envisage de passer de l’autre côté. Le roman se clôt sur cette tentation de l’ailleurs (entendons : l’enfer ; n’oublions pas que le diable boitait, et ce n’est pas un hasard si la maladie de la marquise la rapproche de cette figure infernale). Oscar Wilde se souviendra de la fin des Liaisons dangereuses pour écrire celle de Dorian Gray.

 

     Ainsi donc, l’on couche beaucoup dans le roman de Laclos ; mais on y écrit aussi beaucoup, et il faut voir dans cette activité scripturale une sublimation de l’acte sexuel : si Valmont et Merteuil n’ont plus de liaison, ils s’écrivent en revanche beaucoup, et très bien, et leur liaison épistolaire est bien plus dangereuse que n’importe quelle autre. Ce qu’il faut donc retenir de ce roman, c’est qu’il parle effectivement de libertinage et de coucheries, mais que le plus important, c’est que le vrai plaisir est qu’on se l’écrit et qu’on se le (ou la) raconte.

Publié dans Fiches de Lecture

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L
excellent! j'ai presque envie de le ditribuer en cours, cet article. Quoique je me tâte avec christophe Wilhelm, el Meister. Enfin, au sujet de.
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S
C'est effectivement un livre d'une rare audacieusité!
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F
C'est chaud dis donc ! Et c'est vachement dangereux.
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