Andromaque (1667), de Racine

Publié le par Ikki


Andromaque / Andromède : une tragédie animée.

 

     La Grèce : Buthrote, ville d’Epire, région montagneuse au climat neigeux ; une salle du palais de Pyrrhus, le Grand Pope (puisque « pope » désigne un prêtre chrétien orthodoxe, suivant la religion grecque) ; un interminable escalier qui passe par les douze maisons amène à cette salle.

     Pyrrhus est un vainqueur de la guerre de Troie. Si ses compagnons sont revenus riches à millions en pillant la ville, lui n’a pu ramener qu’une prisonnière, Andromaque (d’où l’expression une « victoire à la Pyrrhus » : c’est le fait d’avoir fait beaucoup d’efforts pour se retrouver avec une seule bonne femme sur les bras). Mais Andromaque est de noble naissance ; elle a d’Andromède la longue chevelure couleur herbe, mais pour lui signifier sa déchéance on lui a arraché son armure rose, désormais enfouie sous les décombres de sa ville natale, avec la dépouille de son mari Hector, fils de Priam et de la vieille Hécube (d’où le roman de Boris Jivago, L’Hécube des jours anciens, POG, 5087 av. J.-C.). La seule consolation de l’exilée est son jeune fils, Astyanax, qui apprend le combat en entourant ses poings sanglants de bandelettes, sous la direction d’une vestale au masque d’argent.

     Cependant Pyrrhus, avant la guerre, était fiancé avec Hermione – mais ramenant Andromaque, il en tombe amoureux. Il faut voir dans cette inconstance amoureuse l’influence de son signe astrologique : Pyrrhus est né sous le signe des gémeaux, et s’il a deux visages, il est impossible de les distinguer sous son masque impassible.

     On n’abandonne pas Hermione sans le payer de sa vie : cette effroyable mégère, qui cache son âme monstrueuse dans un corps de naïade (la naïade est une sirène), est descendante de la créature mythologique nommée Méduse, l’une des trois Gorgones, dont les cheveux sont des serpents et le regard rend fou quiconque ose la regarder en face.

     Oreste gravit les marches du palais ; il apporte à son ami Pyrrhus la corne d’or du Taureau, en gage de sa bonne foi, mais vient chercher Astyanax, que protège le Grand Pope. Et l’arrivée d’Oreste provoque des réactions en cascade : les vies ne pèsent plus bien lourd dans la balance.

     Car Oreste aime Hermione, qui lui préfère Pyrrhus, qui lui aime Andromaque, qui elle aimerait s’en aller. Le temps tourne, la tragédie doit se nouer et se dénouer en une journée, à mesure que les flammes s’éteignent sur l’horloge des douze maisons. La jalousie s’agite en Hermione, et elle va manipuler le pauvre Oreste. Racine n’a pas inventé ce personnage, car il appartient au mythe des Atrides : Oreste y réapparaît après de longues années, tel le Phénix, pour venger sur l’ordre de sa sœur Electre la mort de leur père Agamemnon, tué par Clytemnestre, leur mère. La perversité d’Hermione est de substituer son statut d’amante à celui de sœur, en enjoignant Oreste de tuer, non sa mère, mais Pyrrhus, le Grand Pope. Déstabilisé par ce lien incestueux (qui n’est pas sans rappeler celui du Phénix et de son jeune frère), Oreste se range aux ordres d’Hermione – l’heure tourne, et Andromaque, comme écartelée par de solides chaînes qui l’attachent à un rocher, ne sait si elle doit épouser Pyrrhus et trahir la mémoire d’Hector, ou risquer de livrer son fils aux impitoyables Grecs si elle refuse le mariage ; son caractère est faible et influençable, comme celui d’Andromède. Elle en appelle à Pégase, le fameux cheval ailé, pour espérer partir, mais il ne répond pas, agonisant suite à une infection cutanée contractée aux contacts d’impitoyables Chevaliers Noirs (les héros sont très fatigués à l’époque).

     Cependant, Oreste revient, tout sanglant, conter à Hermione la fin tragique de Pyrrhus : au moment de célébrer son mariage avec Andromaque, les Grecs, fous de rage qu’il épouse une femme, une Troyenne, l’ont passé par le fil de l’épée. Hermione, revenue de sa fureur vengeresse, folle de douleur d’apprendre ainsi la mort de son amant, éructe, invective, et se suicide, non sans se transformer avant d’expirer en l’infâme monstre qui lui a donné le jour, la Gorgone : tout son venin se libère en une multitude de serpents qui se jettent à la tête des spectateurs. Et Oreste, qui ne pense pas comme son ami Shiryu à se crever les yeux pour éviter le regard de ces créatures, sombre aussitôt dans la démence : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » s’exclame-t-il avant de quitter la scène, en hurlant qu’il est assailli par une nuée de mouches.

     Le rideau tombe sur ce cri final. Andromaque est parvenue à se tirer indemne de ces scènes sanglantes ; elle pourra s’épanouir, comme un poisson dans l’eau, au milieu des champs de roses de la douzième maison.

Publié dans Fiches de Lecture

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I
Oui, en fait, comme Seyar était malade, Saori est un peu passée à la trappe. Mais on n'en continue pas moins à adorer sa frange violette et ses nuisettes affreuses. Vive Athéna.
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B
Suis confondu par cette relecture de Racine, on sent bien que vous en avez tiré la sève, telle une corneille survolant les fontaines avant d'en boire l'eau merveilleuse, irriguant ce commentaire d'une verve et d'une intelligence hors du commun...<br /> J'aurais(ste) dû y penser dans l'Empire des signes.<br /> Zut.
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S
Je sais bien que mes vaillants défenseurs sont tous un peu border la line de la rivière, mais quand même...<br /> Aucune référence à mon Nom...<br /> Moi, leur idéal, la vestale pure qu'ils idolâtrent...<br /> Moi, la Mère...<br /> Moi l'Amour....<br /> Moi, la Femme...
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